Comment nos élites transforment l’effondrement éducatif en success story
Il faut admirer le génie français : transformer une catastrophe en triomphe, faire d’un naufrage une épopée glorieuse. Le rapport OCDE 2025 sur l’éducation nous offre un cas d’école de cette spécialité nationale qu’est l’art de l’enfumage institutionnel. Nos technocrates ont réussi l’exploit de présenter l’effondrement du niveau scolaire comme une démocratisation réussie. Chapeau bas.
L’art français du storytelling éducatif
Regardez comme c’est beau : 53% des jeunes français ont un diplôme du supérieur, contre 48% pour la moyenne OCDE. Plus fort encore, 26% détiennent un master, soit 10 points de plus que nos voisins. De quoi bomber le torse dans les salons parisiens et pontifier sur “l’exception française”.
Sauf que derrière ces chiffres rutilants se cache la plus belle arnaque intellectuelle de ces dernières décennies. Car enfin, de quoi parle-t-on ? De vrais diplômes ou de certificats de participation à la grande mascarade éducative ?
Le système français a découvert la recette magique : au lieu d’améliorer le niveau, on abaisse les exigences. Au lieu de former mieux, on diplôme plus. Génial ! 95% de taux d’acceptation dans le supérieur – record olympique – qui révèle cette stratégie : on fait entrer tout le monde pour éviter d’avouer qu’on a foiré au niveau d’avant.
Le grand écart français : promettre Harvard, livrer Poudlard
Cette politique de la porte ouverte produit ses effets. Seuls 34% des étudiants français décrochent leur licence dans les temps, contre 43% ailleurs. Même en rajoutant une année de rab – cette fameuse “bienveillance pédagogique” – on plafonne à 46%. Loin, très loin des 59% de nos voisins.
Mais que voulez-vous, quand on recrute à la pelle sans regarder le niveau d’entrée, on obtient logiquement des sorties… décevantes. Le miracle français : transformer l’enseignement supérieur en gigantesque garderie pour grands adolescents mal préparés.
Quand l’ignorance devient un art de vivre
Les vrais chiffres, ceux que nos ministres préfèrent enterrer, racontent une autre histoire. 30% des Français adultes sont en difficulté de lecture – incapables de comprendre un texte simple. Une performance qui nous place au-dessus de la moyenne OCDE (27%). Bravo !
Plus croustillant : 70% des non-bacheliers français obtiennent des scores catastrophiques en littératie, soit 9 points de plus que la moyenne internationale. Nous ne nous contentons pas d’échouer, nous excellons dans l’échec. Il faut reconnaître une certaine constance.
L’égalitarisme à la française : tout le monde coule ensemble
Le plus savoureux reste cette découverte : même nos “diplômés” sombrent. 36% des bacheliers et 8% des diplômés du supérieur français peinent avec les compétences de base. Nos diplômes ne certifient plus grand-chose, sinon la capacité à avoir survécu au parcours du combattant bureaucratique.
Cette démocratisation de la médiocrité traduit le génie égalitaire français : plutôt que d’élever le niveau général, on tire tout vers le bas. Au moins, personne ne se sent exclu de l’ignorance collective.
La grande régression masquée
Entre 2012 et 2023, les compétences françaises ont dégringolé : -5 points chez les diplômés du supérieur, -7 points chez les autres. Une chute qui révèle que nous n’assistons pas à une crise passagère mais à un effondrement programmé.
L’écart français entre diplômés du supérieur et du secondaire (47 points) dépasse la moyenne OCDE de 13 points. Traduction : notre système creuse les inégalités tout en prétendant les réduire. Du grand art démagogique.
La reproduction sociale, cette vieille chanson
Malgré toute cette agitation réformatrice, les fondamentaux demeurent : 75% des enfants de diplômés accèdent au supérieur, contre 32% des autres. 43 points d’écart qui prouvent que la “méritocratie républicaine” reste un conte pour adultes naïfs.
Le système a juste ajouté un étage au château : aux inégalités sociales classiques s’ajoutent désormais les inégalités entre “vrais” et “faux” diplômes. Les initiés savent distinguer une licence de Dauphine d’un master de Créteil. Les autres restent dans l’illusion.
Le marché, ce révélateur impitoyable
Le réel finit toujours par rattraper la fiction. 18,5% de chômage chez nos jeunes non-bacheliers, contre 12,9% ailleurs : la preuve que notre “bienveillance pédagogique” produit surtout des exclus.
Paradoxe révélateur : nos diplômés du supérieur conservent 60% d’avantage salarial sur les bacheliers, contre 54% en moyenne OCDE. Le marché fait le tri entre diplômes d’apparat et vraies compétences, sanctionnant notre grande braderie éducative.
L’addition salée de l’imposture
5,4% du PIB dans l’éducation contre 4,7% ailleurs : nous dépensons plus pour des résultats moins bons. Une gabegie qui révèle l’inefficacité crasse d’un système obsédé par la communication plutôt que par la formation.
Dans le préélémentaire, nos dépenses ont stagné (+14% depuis 2015) quand nos voisins investissaient (+24%). Même avec moins d’élèves, nous arrivons à faire moins bien. Prouesse technique remarquable.
L’omertà des bien-pensants
Cette mascarade perdure grâce à un écosystème médiatico-politique qui préfère les mensonges rassurants aux vérités dérangeantes. Chaque “hausse du taux de réussite au bac” fait les gros titres, tandis que l’effondrement des compétences reste dans les notes de bas de page.
Nos journalistes éducation, souvent issus du même moule que nos pédagogues, recyclent consciencieusement la propagande officielle. Pourquoi chercher la petite bête quand on peut célébrer les “avancées démocratiques” ?
Le réveil sera douloureux
Cette fête ne durera pas éternellement. Un jour, la réalité rattrapera nos statistiques bidonnées. Quand nos “diplômés” illettrés se retrouveront face aux exigences du monde réel, quand nos entreprises découvriront l’ampleur de la supercherie.
En attendant, nous continuons de produire des générations entières de laissés-pour-compte déguisés en “réussite éducative”. Des gamins à qui on a menti sur leurs capacités, des familles bernées par des diplômes en toc, une société qui s’enfonce dans l’auto-persuasion collective.
La France des illusions perdues
Voilà où nous en sommes : un système éducatif qui a renoncé à sa mission d’élévation pour se transformer en machine à fabriquer du consensus mou. Nos élites préfèrent administrer le déclin plutôt que d’affronter les difficultés de la remontée.
Cette imposture éducative illustre parfaitement le mal français : cette capacité infinie à transformer nos faiblesses en vertus, nos échecs en victoires morales, notre paresse intellectuelle en progressisme éclairé.
Le rapport OCDE éducation 2025 ne raconte pas seulement l’histoire de l’école française. Il révèle le portrait d’une société qui a choisi le confort de l’illusion plutôt que l’effort de la vérité. Et qui s’étonne ensuite de décliner dans un monde qui, lui, n’a pas renoncé à l’exigence.

